Croisés dans le métro

Croisées sur croisé dans le métro, des personnes qui me disent que je devrais en écrire davantage sur ce que j’observe tous les jours.

Croisé dans le métro, un mec d’une vingtaine d’années, avec ses copains, ” ouais monsieur y’a du son dans ta cabine”, pas du tout agressif, sincèrement intrigué, ” vous écoutez quoi ?” … ” Tom Waits” … ” Ah ouais Tom Wet ( sic), c’est pas un mec y faisait un peu du funk, à l’ancienne ? ” … J’ai trouvé ça tellement mignon que j’ai pas osé lui dire non.

Croisé dans le métro, après un cri entendu au niveau d’une porte de sortie, un italien avec une grosse bosse. ” Comment vous vous êtes fait ça ?” ” Je regardais une jeune fille passer et je n’ai pas vu la porte “.

Croisée dans le métro, une vieille peau en fourrure, ” vous nous enquiquinez, vous pouvez pas faire rouler les métros sur le corps et le dégager à la fin du service, de toute façon on s’en fout, il est mort ”

Croisée dans le métro, une quinqua toute perdue, en pleurs devant moi, comme une petite fille… ” je suis perduuuuue” ” … ” vous n’êtes pas d’ici ? ” … ” non, du zéro quatreuh ”

Croisé dans le métro, un type à qui j’ai dit je crois qu’on va la garder. Je parlais de la photo que j’ai prise pour son passe Navigo. On distingue très bien à l’arrière plan, pile au même moment, une personne en train de tomber dans les pommes, sans gravité.

Croisée dans le métro, F., infirmière, mariée, un pavillon en banlieue. Enfin, ça c’était avant notre rencontre. ” Je passe juste une nuit dehors ce soir dans le métro, je vais m’en sortir, non ma famille le sait pas, c’est entre moi et moi, je ne veux que personne s’inquiète, c’est juste un mauvais enchainement, ça va passer, non je n’ai besoin de rien”. Revue un an après dans le quartier. Vingt ans de plus dans les traits. Une bouteille de vin.

Croisé dans le métro, un gars ivre mort, puant, étalé sur le dos sur le quai Nation. Inconscient. Ca a été comme ça, à Avron, presque tous les soirs, pendant des mois. Recroisé un an après. Rasé de frais, un passe Navigo, le sourire, ” hey ça fait longtemps, ben moi ça va, j’ai trouvé du taf, je vais diner avec mon fils là”. Ouf.

Croisées dans le métro, des personnes qui speedent le samedi soir, alors qu’ils sont entre amis, qu’ils viennent de passer une bonne soirée. Ah t’as des tickets à prendre, bon ben nous on file hein, le métro arrive, tchao. Jamais trop compris la soudaineté, le speed, dans ces moments là.

Croisées dans le métro, souvent le vendredi ou le samedi soir, deux personnes embarrassées, c’était une bonne soirée, bon tu prends direction Nation, moi direction Dauphine, deux bises, ah non on s’embrasse, ah ben tout compte fait on va peut être aller tous les deux direction Nation ?

Croisés dans le métro, deux personnes qui se croisent et se saluent à 18h. Je fais mes trucs, je les calcule plus. Je réalise à 23h qu’elles sont toujours en train de parler, avec le même enthousiasme, dans la même position.

Croisée dans le métro, il y a cinq ans, une beauté géorgienne prénommée Salomé. Ce qu’on a vécu ce soir là est tel que j’y pense encore souvent. Une histoire d’amour sans paroles n’a pas besoin du protocole. On s’est quittés, de part et d’autre des appareils, au bord des larmes. Elle m’avait dit qu’elle habitait au dessus. J’ai bossé quasiment tous les soirs dans cette station l’année qui a suivi. Je ne l’ai jamais revue.

Croisé dans le métro, sûrement en janvier, des gens qui se plaindront de la hausse des tarifs. C’est la TVA qui augmente, les gens, c’est abusé mais c’est ni la RATP ni la SNCF les responsables.

Croisés dans le métro- j’ai regardé ici direct le soir- un mec et une fille qui ont eu vraiment un coup de foudre. Le mec arrive, un grand africain, saute les appareils mais hyper stylé, souple, fluide, rien envie de lui dire, c’était beau techniquement. Et là, il atterrit et une fille le croise au même moment. Très belle elle aussi. Ils sont restés à se regarder sans paroles pendant une dizaine de secondes. C’était vraiment comme si rien ne bougeait autour d’eux. Puis chacun a repris sa route.

Croisé dans le métro, peut être toi ou toi, qui avez déjà écrit ici. Peut être toi, aussi. Toujours un doute quand je reviens dans cette station.