Ligne 2

C’en est bientôt fini pour moi ici, sur cette ligne. Sept ans que je vous croise, de Nation à Dauphine, en remontant par Montmartre. La durée que devrait avoir tout unique tour de piste. Il est temps d’aller respirer un autre air, et surtout de me rapprocher de lui. Oh, je ne pars pas très loin, dans le Sud… de la ligne 12. Adieu kebabs et thés à la menthe du 18ème, bonjour jambon-beurre pressés du Parc des Expositions, et cafés allongés là bas, à Issy.

J’ai un souvenir exact pour chaque station, pour chaque année. Les ouvertures au petit matin de la station La Chapelle, avec ce couloir énorme reliant à Gare du Nord, désert à 5 heures du matin. Gigantisme et solitude. Combien de fois j’ai imaginé mes potes musiciens jouant dans ce couloir à l’acoustique parfaite. Le jour qui se lève sur le boulevard et les cris d’enfants qui s’élèvent du square.

Les jours d’été à Stalingrad ou à Avron, une ado qui remonte, toute rouge, ” ouais monsieur ma copine elle a fait tomber sa tong sur les voies”, la copine encore plus rouge, assise sur le quai à l’abri des regards, les pinces qui plongent sur le ballast et saisissent, puis remontent, et voilà, l’escarpin de mademoiselle est avancé.

Le type du Casino en haut de Philippe Auguste. Quitter le guichet, aller s’acheter une ou deux douceurs pour la soirée. Et toujours la même phrase, année après année, à chaque fois. ” Vous êtes de permanence ce soir ? ” … Cette formule a toujours sonné assez intemporelle pour moi, j’ai eu l’impression qu’il aurait très bien pu la dire à un poinçonneur dans les années 60. Peut être l’a t-il fait.

La nuit de Noël à Colonel Fabien. Revoir tous ces enfants, vers 2 heures du matin, rentrer avec des jouets plus grands qu’eux, les trainant, eux fatigués, trainés par leurs parents. Mieux que la collection printemps/été, mieux que le 14 juillet. Le vrai défilé, peut être le seul qui devrait exister.

L’après midi au funiculaire de Montmartre, un jour de printemps éclatant. Avec deux collègues, en mission de canalisation. L’énergie encore présente quand je repense à cet après midi. Les sourires des foreign teenagers, we are at Sacré Coeur, les robes d’été et les accents latins, les chemises et mocassins impeccables.

Cette ambiance toujours spéciale propre à la rue de Bagnolet, une effervescence, les troquets, Télé Bocal, les artistes qui vivent dans ce coin là, cette ambiance que je ressentais jusque dans les briques d’Alexandre Dumas.

Les soirs de Ramadan vers Couronnes ou La Chapelle. Plus personne au coucher du soleil, station vide et vidée, tout un quartier qui s’arrête pour prier.

Les conducteurs qui chaussent leurs lunettes de soleil, ou se protègent les yeux, toujours, sur la rampe de Colonel Fabien, pour aller vers l’aérien. Avec pour celui qui partage la loge, toujours, un commentaire sur le temps. ” Ah ben ça s’est éclairci” . ” Il pleuvait pas tout à l’heure” . ” Il fait déjà nuit ? “.

” L’oeuvre qu’on ne peut pas finir, parce qu’elle va vers la vie”, a écrit Henry Bauchau. C’est exactement ça. Je n’oublierai pas. Bons trajets à vous.

    Détails

  • Métro2à Couronnes.
  • Une rencontre faite le 21 janvier 2014.
  • Rédigé par un homme pour une femme.
  • Publié le mardi 21 janvier.