J’accuse! (Lettre à Bertrand)

Lettre à M. Bertrand Untel

Juriste accompli, amoureux perdu

Monsieur le Juriste,

Me permettez-vous, dans ma gratitude pour le prévenant accueil que vous m’avez fait un jour (il y a longtemps), d’avoir le souci de votre juste gloire et de vous dire que votre étoile, si heureuse jusqu’ici, est menacée de la plus honteuse, de la plus ineffaçable des taches ?

Vous êtes sorti sain et sauf des bas mensonges, vous avez conquis les coeurs. Vous avez conquis le mien. Vous apparaissez rayonnant dans l’apothéose d’une rencontre a laquelle la lâcheté a mis un terme, et vous vous préparez à présider au solennel repos de l’homme rassasié, qui couronnera vos longs mois de chasse, de versatilité et de médiocrité. Mais quelle tache de boue sur votre prénom - j’allais dire sur votre image (celle que je me faisais de vous) - que cette abominable fuite ! Et c’est fini, moi, j’ai sur le coeur cette souillure, l’histoire écrira que c’est sous votre emprise, sous votre charme qu’un tel crime amoureux a pu être commis.

Puisque vous avez osé, j’oserai aussi, moi. La vérité, je la dirai, car j’ai promis de la dire, si une justice renaît, sincère et équitable. Mon envie est de parler, je ne veux pas être oubliée. Vos nuits devraient être hantées par le spectre de la jeune femme qui expie ici, dans la plus affreuse des tortures, une erreur qu’elle a sûrement commise.

Et c’est à vous, monsieur mon Amoureux, que je la crierai, cette vérité, de toute la force de ma révolte d’honnête (jeune) femme. Et à qui donc dénoncerai-je l’enfer de l’âge et du qu’en-dira-t’on si ce n’est à vous, le premier homme de mon royaume ?

Telle est donc la simple vérité, monsieur mon Amoureux, et elle est honteuse, elle restera pour votre majesté une souillure: je vous admire, vous aime et vous hais. Je me doute bien que vous n’avez plus aucune pensée pour moi, que vous êtes également prisonnier de la Constitution et de votre entourage, prisonnier des lois. Vous n’en avez pas moins un devoir d’homme, auquel vous songerez, et que vous remplirez. Pour la jeune femme que je suis, qui attends et espère. Je le répète avec une certitude plus véhémente : je suis sincère et rien ne m’arrêtera. C’est aujourd’hui seulement que l’affaire commence, puisque aujourd’hui seulement les positions sont nettes : d’une part, je souhaite que vous sortiez de ce mutisme ; de l’autre, je n’exige rien sinon cet ultime rende-vous. On verra bien si l’on ne vient pas de préparer, pour plus tard, le plus retentissant des désastres. Car j’ai cette intime conviction et ce sentiment malheureux que nous sommes passés à côté de quelque chose de beau et de grand.

Mais cette lettre est longue, monsieur le Juriste accompli, mon Amoureux perdu et il est temps de conclure.

J’accuse votre indifférence. J’accuse votre pleutrerie. J’accuse votre aphasie. J’accuse mes mensonges. J’accuse mes craintes. J’accuse le numérique de s’être interposé entre nous. J’accuse mes parents pour ne pas m’avoir mise au monde plus tôt. J’accuse le monde.

Je n’ai qu’une envie, celle de la lumière, au nom de mon coeur qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour. Car l’Amour est un crime dont l’arme est silencieuse, les victimes et les bourreaux, complices.

Je vous aime. J’attends. C.

    Détails

  • Métro10à Avenue Émile Zola.
  • Une rencontre faite le 13 mars 2014.
  • Rédigé par une femme pour un homme.
  • Publié le jeudi 13 mars.