Briser la loi du hasard

Je suis chatain, barbu, et portait mon pantalon-punk-à-chien-spécial-canal-st-martin que je mets pour rendre hommage aux visiteurs de ce quartier amateurs de djembé et de kronenbourg. Tu es blonde, les cheveux tirés en arrière, et portait une veste militaire kaki, peut-être pour la même raison.

Je t’ai regardée monter à Strasbourg St-Denis, te diriger vers le strapontin du fond, puis te soutraire à ma vue, dissimulée derrière les personnes debout. Tu as dû me voir me lever, me placer bien en évidence, négligemment appuyé contre la barre en face de toi, puis sortir à République, perdu dans le flux des voyageurs se dirigeant vers la sortie. A ce moment, rien n’était arrivé, rien dans nos gestes ne nous distinguait de simples voyageurs qui se placent au hasard des sièges du métro et laissent papillonner leur regard aux alentours. Et puis, et puis, comme nous nous trouvions vers l’avant du train, j’ai ralenti le pas, j’ai patiemment laissé tous les voyageurs pressés me dépasser, j’ai détourné mon regard de la sortie pour suivre frénétiquement les wagons qui commençaient à défiler, jusqu’à ce que le tien apparaisse. Et que nos regards se croisent. Enfin. Une seconde, deux secondes, trois secondes, un timide sourire. Trois secondes et un léger mouvement des lèvres, c’est assez pour briser la loi du hasard et nous rendre l’un pour l’autre un peu plus que de simples voyageurs. Du moins j’aime à le croire.