Du rateau par le vide (à la fille de l’INALCO et aux autres)

Mesdemoiselles,

Nous peuplons le même monde, mais aussi longtemps que nous nous considérerons les uns les autres autrement que comme des êtres humains, nous ne pourrons jamais nous comprendre.

Je suis un homme. Je ne peux pas imaginer ce que c’est d’être harcelée, sifflée, molestée et manipulée par des intrus. Même si j’ai eu droit à deux ou trois propositions licencieuses, être considéré comme un objet sexuel ne fait pas partie de mon quotidien. En règle générale, on ne m’agresse pas. Je ne crains personne.

Je n’ai pas à m’imaginer non plus qu’un intérêt égoïste se cache derrière chaque compliment, ou bien à présumer un psychopathe derrière chaque nouveau visage. Mon monde est sans doute plus serein que le vôtre. J’ai bien de la chance.

Ou plutôt : j’avais de la chance …

Ma chance m’a déserté le jour où un petit bout de femme d’un mètre soixante a décidé de faire de moi un paria sans prendre la peine de m’expliquer pourquoi. Je lui avais simplement dit que je voulais la voir. Sans un mot, sans au revoir, sans adieu, je me vis brutalement rangé au rang des étrangers. L’homme qu’on fait mine de ne pas reconnaitre lorsqu’on le croise.

Par pitié, ne faites jamais ça à personne. C’est juste la pire des options. Il me faut le dire, au moins pour celles qui auront la patience de me lire.

J’en ai discuté avec une amie qui me déclara : « Quand un mec que je n’aime pas me drague, j’arrête de lui parler. Je coupe les ponts tout de suite pour lui éviter de se faire de faux espoirs, et lui permettre de passer à autre chose ».

Désolé d’avoir à le dire, mais cette approche est inique et voici pourquoi :

1 – On a autant le droit d’aimer les gens que de ne pas les aimer : prétendre imposer à autrui ce que seul son cœur pourrait lui commander est tyrannique. Si un homme vous aime, il vous aime. Ce n’est pas à vous de l’en dissuader. Ce serait aussi absurde que de voter l’interdiction de la mort à l’Assemblée. Ce n’est pas en votre pouvoir.

2 – Il y a principalement deux façons « d’aimer » les gens : pour ce qu’ils sont et pour ce qu’on en attend (on appelle ça le « désir »). En général les deux sont mêlés dans des proportions variables.

* Si un type vous aime pour ce qu’il attend de vous (en gros, si sa principale motivation est de vous sauter ou d’hériter de votre formidable fortune d’étudiante), effectivement, le fait de couper les ponts avec lui peut l’aider à reporter plus rapidement ses appétits sur une autre. Bien joué ! Grace à vous, il trouvera plus rapidement une autre victime à traiter comme de la viande.

* Mais si ce type vous aime pour ce que vous êtes ou ce que vous représentez, en quoi couper les ponts pourrait l’aider ? Si dès le départ, l’espoir d’obtenir quelque chose de vous était secondaire à sa passion, en quoi le priver de votre présence y changerait quoi que ce soit ? Il vous aimera toujours autant. Il se demandera juste pourquoi vous l’avez banni comme ça.

Oh, il se doutera bien que c’est parce que vous ne l’aimez pas. Il n’y a pas de mal à cela : comme je le disais, on a autant le droit d’aimer les gens que de ne pas les aimer … C’est la vie !

Mais au-delà de ce constat, comment ne s’interrogerait-il pas sur le sens de la méthode employée pour lui exprimer cette simple vérité ? Pourquoi avoir opté pour la fuite, sans un mot d’explication ou de mise en garde, sans un « arrête, tu me fatigues », sans un « désolée, mais je ne partage pas tes sentiments », sans un « je suis déjà avec quelqu’un, laisse tomber », bref sans un mot.

Fatalement, il s’interrogera. Et ces questions le hanteront à la hauteur de ce que vous représentiez pour lui :

- A-t-elle a cru que je n’en voulais qu’à ses fesses ? Est-ce ainsi qu’elle me voit ? Comme un animal ?

- Lui ai-je fait peur ? Pourquoi n’a-t-elle pas eu le courage de me repousser franchement ? Qu’y a t-il de si terrifiant en moi ? Suis-je un monstre pour qu’elle me fuie de la sorte ?

- Etait-ce un tort en soi de la trouver aimable ?

- Faut-il qu’elle me déteste à ce point pour m’infliger un traitement aussi humiliant [faire mine de ne pas me reconnaitre] ? Quel mal lui ai-je fait, au fond ? Quel crime horrible ai-je commis à son encontre ?

- Suis-je un sale type pour mériter ça ?

Je vous laisse imaginer avec quels délices on se réveille au matin avec cette pensée … « Suis-je un sale type » ? Avec quel entrain on attaque alors sa journée de boulot ! Pourquoi se donner de la peine, si les êtres qu’on a le plus aimé (fut-ce à mauvais escient) sont aussi ceux qui vous méprisent le plus ? A quoi bon se battre ? Pour qui ? Pour quoi ? Que gagne-t-on alors à vivre, fors tristesse et affliction ?

Plus la conscience est aiguisée, plus la torture est tenace. Les questions ne vous lâchent jamais. Tout, tôt ou tard, vous y ramène. La brise glacée dans les branches mortes, les oies qui s’envolent vers le sud ou ce jeune couple qui déambule insouciant dans un parc …

Vous restez assailli, mais sans réponse. Pourquoi ? Parce que vous seules, mesdames, déteniez la réponse, et vous ne l’avez point formulée.

A l’homme ainsi éconduit ne reste que son échec et des questions en nuées. Cela se prolonge pendant des mois et des années. Osez dire que ce n’est pas cruel !

Et pourtant, il se trouve des femmes qui estiment cette stratégie « normale », voire même souhaitable.

Elles me font penser au mot de ce légat pontifical lors du sac de Bézier (1209) : « Tuez-les tous, Dieu reconnaitra les siens ». Par paresse ou par peur des connards violents – je ne sais - elles mettent tout le monde dans le même panier. Elles traitent tous les hommes comme de dangereux prédateurs, au risque d’emporter dans le lot de pauvres types qui étaient juste sincèrement amoureux.

Et le plus beau dans tout ça, c’est qu’il leur arrivera d’accueillir ensuite d’authentiques prédateurs à bras ouverts. Et là, l’homme se demande : au fond, n’aurais-je pas dû, moi aussi, vivre en prédateur ? Que m’ont apporté mes idéaux, à part de la peine ? Où m’ont conduit mes principes, hormis dans le mur ? Pourquoi ne “choperai-je” pas la première venue, histoire de me “venger” sur elle ? S’il est vrai que je suis un sale type, alors pourquoi ne pas l’être jusqu’au bout, histoire de réussir au moins quelque chose dans le théâtre de la vie ?

Voilà pourquoi je vous prie mesdemoiselles d’observer cette politique : quand un type amoureux vous importune, dites-lui donc « non, je suis déjà en couple ».

C’est clair, efficace, ça ne blesse personne (qui pourrait vous en vouloir d’être fidèle ?) et ça évite de rendre notre monde dégueulasse encore pire qu’il n’est déjà.

Pour moi, il est sans doute trop tard. Mes illusions sont mortes. Mais il reste encore des hommes honnêtes dans ce monde. Vous n’êtes certes pas obligées de les aimer mais préservez-les un peu. On a besoin d’eux bien davantage que des pandas géants. Vous ne croyez pas ?

Alors soyez humaines, même avec ceux qui ne vous le rendent pas. Ce n’est pas si compliqué, après tout.

Comme je le disais, je ne suis qu’un homme. Je ne vous comprendrai jamais parce que je ne vis pas ce que vous vivez au quotidien. Je ne sais pas ce que c’est que la lassitude d’être désirée. Alors peut être mes remarques n’ont elles pas d’objet. Prenez juste mon plaidoyer pour une invitation à la réflexion.

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[post-scriptum @ ma muse maléfique, miss “1644-1911 ‘er”.

Tu dors bien ? Tu as bon appétit ? Ça fait quoi d’ôter à un homme l’envie de vivre ?

Je t’admirais. Je t’admirais vraiment. Tu étais celle que j’aurais aimé être. A ton avis, combien de fois ça arrive dans la vie d’un homme d’aimer quelqu’un pour ce genre de raisons plutôt que pour ses fesses (si tu savais à quel point je m’en fout de tes fesses, de tes ongles noirs et de tes lèvres vainement fardées : tu crois vraiment que tu as besoin de ça pour être belle) ?

Si tu avais eu faim, je me serai coupé le bras pour te le servir avec des fines herbes (ok, c’est beurk). Si tu avais eu soif, je me serai tailladé les veines pour t’abreuver avec mon sang.

Était-ce si mal ? Dois-je me sentir coupable de t’avoir aimé ? Et surtout, comment as-tu pu croire que je pourrais t’effacer de ma mémoire, toi qui es si unique parmi tous les êtres que j’ai rencontré ? Comment as-tu pu croire que je pourrais continuer à vivre comme si de rien n’était, en sifflotant gaiement ?

Tu croyais quoi ? Que j’irais voir ailleurs, histoire de traiter une autre femme comme un “second choix” ? C’est comme ça que ça fonctionne dans ton univers ? “Une de perdue, dix de retrouvées” ? Une meuf c’est une meuf ? Pour toi les gens n’ont pas d’âme, c’est ça ? On est des machines qui s’emboitent avec des prises mâles et des prises femelles ? C’est ça ta vision du monde ? Que c’est triste …

Je n’arrive pas à te haïr. Je suis découragé. J’essaie d’aider les gens pour me trouver une motivation. J’oublie en serrant dans mes bras un vieux pépé esseulé dans le métro, en aidant une lycéenne à se débarrasser d’un ex manipulateur qui la fait chanter, ou en tentant de redonner le moral à une personne frappée de malchance à l’autre bout de la France. J’essaie de me dire que ça vaut la peine de continuer à vivre. Pour les autres si ce n’est pour moi même. Mais lorsque que je regagne mon foyer désert, mes pensées me ramènent à mon échec et les larmes m’emplissent les paupières. Que vaut une vie sans horizon ? Que vaut une vie sans horizon ? De penser que je vais devoir me trainer ce fardeau jusqu’à la fin …

Puisse tu ne jamais te trouver à ma place. Puisse tu ne jamais vivre comme un fantôme sachant qu’il n’y a pas de “deuxième chance”. Je t’en prie, n’impose plus jamais ça à personne.

Quel dommage que nous n’ayons pas su communiquer. Nous aurions pu être amis, au moins. Tu n’en aurais pas trouvé de meilleur dans tout l’univers. Tu m’avais promis un verre amical. T’en souviens tu ? Quel singulier calice tu m’auras fait boire ! La saveur en est bien amère …

Le monde est mal fait, et nous ne l’avons pas rendu meilleur.]

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Mise à jour : le 03 avril 2016.

J’ai publié cette annonce il y a des mois. J’aurais aimé depuis dire adieu à mes émois. Il n’en aura hélas rien été, et mon âme délabrée peu à peu se meurt tel un membre gangréné. Ma mémoire me semble une plaie béante qui ne veut se refermer. Une sourde fièvre attaque mon intégrité et il me devient intolérable de partager le même ciel avec la femme qui m’a réduit à cet état et qui, pour avoir maintenu avec constance son rempart de silence en dépit de mes ouvertures, nous condamne elle et moi à un conflit que peut-être, au départ, elle souhaitait précisément éviter. Quel sinistre engrenage !

Je ne peux plus vivre pour moi. Je ne peux pas vivre pour elle. Que me reste t-il, si ce n’est le détestable désir de vivre pour rendre très exactement les maux qui m’ont été infligés ? Moi qui au départ voulait embellir ce pauvre monde, je crains désormais de le rendre pire en cédant aux sirènes d’une vengeance absurde car conduite à l’encontre d’une personne que je continue à adorer.

J’ai eu tort sans doute. Tort de m’attacher à “la mauvaise personne”. Tort d’aimer, si tant est qu’on puisse avoir tort dans un domaine où la raison tient si peu de place.

Nous ne sommes malheureusement que des êtres humains, en proie à des émotions qui nous dépassent et qui nous usent. Des feuilles mortes emportées par les eaux du ruisseau. Quelle liberté nous reste t-il ?

J’espère que la vie m’apportera une solution, et avec elle, une forme de paix. Mais les espoirs m’ont toujours déçu. Alors je crois bien que je suis foutu.

La source de tous ces maux (et de tant d’autres par cette terre), si on y réfléchit, est des plus banales. C’est qu’un jour, un être décida, par facilité, d’en traiter un autre comme s’il était dépourvu de sentiments, comme s’il n’était qu’un objet, un encombrant obstacle.

J’invite ceux qui sont encore debout à faire preuve de vigilance et à se garder de ce travers, ou bien si le mal est déjà fait, à tenter de le réparer (il n’est JAMAIS trop tard pour bien faire, et parfois une simple parole suffit à éteindre une inexpiable injure). Ou bien s’ils voient un proche le commettre, à l’en alerter. Car si nous sommes tous faillibles, un sage conseil peut nous épargner de grandes misères.

Une fois le mal commis, toutefois, on a toujours bien trop raison pour admettre qu’on y a été fort dans les moyens employés à exprimer un légitime dédain. Alors on s’enfonce, et on entraine avec soi des “adversaires” qui au départ ne l’étaient pas. Chacun garde sa tranchée, et pour finir, on finit par s’écharper pour des querelles de dignité (qui ne sont pas si dérisoires qu’il n’y parait de prime abord: la dignité, c’est ce qui fait qu’on reconnait en autrui son frère en humanité).

J’ai pour ma part commis bien des fautes et maladresses dans ma vie, mais j’aimerais au moins résister à celle ci, qu’on m’a déjà servi et qui ne sert qu’à protéger la dureté de son propre cœur d’une remise en question : celle qui consiste à piétiner un être du sexe opposé sous prétexte que ses supposés semblables en ont eu un jour autant à notre égard. Je cite : “les mecs / les filles font tous pareil=> Bidule n’a que ce qu’il mérite”

“Les mecs”, “les filles”, ça n’existe pas. Il n’y a que des individus, tous différents, tous uniques. Nos actes ont des conséquences. Alors ne prétendons pas, pour la tranquillité de nos nuits, punir quelqu’un pour les fautes d’un autre, de tout un genre, ou de toute une espèce. Résistons à cette injustice pour ne pas faire de ce monde l’enfer qu’il est déjà.

Quant à moi, on m’a dit qu’en écrivant ce texte, je m’assurais de la rancune éternelle de la femme qui me l’avait inspiré. C’est probable, en effet. Ce fut un dernier recours, un ultime expédient. Le seul moyen d’en être lu, et peut-être compris. Aussi c’est d’un cœur triste que je l’ai écrit. Je n’ai jamais aimé le tragique, mais parfois, il s’invite de lui même dans nos vies …