Captain Poêle à Frire - Part 2 : naissance d’une vocation

[Lire ce qui suit d’une voix grave et profonde]

Précédemment dans « The Incredible Captain Poêle à Frire » :

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Permettez donc mes amis, que je reprenne mon récit où je l’avais interrompu.

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John Smith, notre héros, s’en allait trouver sa belle au dernier étage du Pleintemps, lorsqu’il vit accourir en hurlant toute une foule de gens. « Diantre ! », se dit-il, « Pourquoi tant de rage et furie dans les allées du magasin ? Le temps des soldes n’est pourtant pas encore arrivé »! Pondérant la situation d’une caresse sur le menton, d’un esprit vif il conclut : « Hmm … Sans doute se passe-t-il là-haut quelque grave événement. Ma Cindy court peut-être un terrible danger. C’est un signe du destin. Il me faut aller la sauver ». Et aussitôt, de grimper quatre à quatre les marches de l’escalator pour aller secourir sa dulcinée.

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Livre III : « It’s a good day to fail when you know the reasons why”

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Lorsqu’enfin, il posa le pied au cinquième, John était essoufflé. Cela faisait bien trop longtemps qu’il avait arrêté le vélo d’appartement …

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Autour de lui, tout n’était que chaos et désolation. Un vigile gisait au sol, inconscient, la bave aux lèvres, les yeux exorbités, une guirlande électrique enroulée autour du cou. Elle clignotait encore faiblement.

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Un peu plus loin, une vendeuse râlait douloureusement, écrasée sous un sapin.

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Entre les linéaires çà et là renversés, deux individus ricanants, en costume de sorcière, robe de bure et chapeau pointu, jetaient avec hargne sur la foule paniquée des décorations de Noel diverses et variées. John eut tout juste le temps d’esquiver une boule « papa Noel » et de se mettre à l’abri derrière la crèche et ses santons. Car toujours, dans l’adversité, l’homme peut compter sur les secours de la religion.

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Un rapide coup d’œil sur le côté lui fit mesurer la distance qui le séparait de Cindy. La pauvre fille s’agrippait à sa caisse, le regard fou, tétanisée par la peur. Ah les beaux yeux de Cindy, verts comme une plage bretonne semée de chevaux morts par un doux soir d’été ! Que n’aurait-il accompli pour la serrer contre son sein en cet instant !

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Cinquante mètres. Cinquante mètres seulement. C’est tout ce qui l’en séparait. Cinquante mètres et deux néanderthaliens armés de guirlandes de Noel et de boules décoratives lestées au plomb, avec lesquelles ils jouaient à la pétanque sur des consommateurs innocents (mais le consommateur, par son adhésion aveugle aux diktats du Grand Capital l’est-il vraiment ?).

« L’homme est une fin en soi », pensa John. « Le traiter en cochonnet est absolument indigne. Pour l’humanité. Pour Cindy. Il faut que quelqu’un se lève. Et aujourd’hui, ce quelqu’un, ce sera moi » !

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Entre lui et sa belle s’étendait le stand « Divorce Frères », un prestigieux négociant en thés parfumés. John fit alors ce qu’il faisait de mieux : il réfléchit.

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Brave lecteur, il me faut ici te prévenir que face aux femmes, si choper tu escomptes, tu dois te garder comme d’une calamité des affres de la réflexion. Car tandis que l’homme pense, souvent il n’agit pas. Hélas, il

lui est dur et cruel de faire deux choses à la fois. Or voilà, l’occasion passe, et si tu tardes trop, il est trop tard pour toi. Logique.

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Toutefois, il faut bien admettre qu’en situation de crise, penser peut s’avérer utile ! Aussi, tirant des tréfonds de son esprit de petit comptable public d’inespérées ressources, John conçut un plan subtil et plein d’astuce pour secourir sa bien-aimée assiégée.

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Bondissant hors de son abri avec la souplesse et la mâle élégance propre à tous les grands fauves, il se saisit des plateaux de la balance à peser le thé en vrac, pour s’en constituer un bouclier. Que dis-je ? Un bouclier ? Non. Une targe ! Couvrant de ce soleil de cuivre son beau visage, il se rua sur les boites de thé pour en prendre une. Et que croyez-vous qu’il fit, à ce point rendu ?

Qu’il se fit une infusion ? Que nenni ! Il courut sus à l’ennemi, sous leurs bombes, sous un déluge de plomb.

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Parvenu à quelques mètres à peine de la première « sorcière », il lui jeta au visage tout le contenu de la boite de thé. Les feuilles séchées, comme autant de petites épées émoussées, criblèrent la face du criminel qui tomba à genoux en gémissant « Oooh mes yeux ! Mes yeux ! ». John en profita pour lui coller un pain avec son plateau de balance, expédiant de ce geste impérieux l’individu dans les bras de morphée.

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Hélas, entre les mauvais joue la solidarité. L’autre gusse ne laissa pas à notre héros le temps de se retourner. Avec un rire sardonique, il le fouetta d’un violent coup de guirlande. John, lui, voulait à nouveau faire parler la balance. Hélas ! Son bras était trop court, et le plateau manqua son but. La « méchante sorcière de l’Est » le tenait à distance à l’aide de ses guirlandes maléfiques, dont les petits-fils argentés lui chatouillaient horriblement le nez. Johnny dut bientôt lâcher son arme pour éternuer un coup.

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« Atchoum » ! Le monstre n’avait plus qu’à achever notre valeureux comptable, désormais sans défense. En un instant, il l’eut ligoté fermement à l’aide de ses guirlandes. Et déjà, il dansait triomphant, autour de sa victime, disposé à en finir d’un rude coup de santon florentin en terre de sienne, lorsque survint Ivan Nicolaievitch Spontexx, avec son polo Ferrari et sa gourmette d’argent. Le chef de chantier. Le pire rival de Johnny. Celui pour qui soupirait Cindy ! Et voilà que cet opportuniste, d’un coup de rouleau papier cadeau, expédie ad patres la sorcière, qui ne s’y attendait certes pas. De la bravoure d’un autre il récolte le fruit. Oui. Laissant au sol se débattre John Smith, l’apprenti maçon s’en alla réconforter Cindy, qui se blottit, encore frémissante, entre ses larges épaules.

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Le galant homme, sans la lâcher un instant, la conduisit, le regard brillant, en directions des escaliers dans l’idée de la raccompagner vers la sortie et plus si affinités.

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Johnny, impuissant, contemplait ce spectacle sans pouvoir l’empêcher, le visage décomposé. Il aurait voulu crier, mais la boule que la sorcière lui avait glissé dans la gueule lui imposait le silence. Ah ! Hélas ! Que faire ? Et qu’il dur de voir celle qu’on aime disparaitre au bras d’un jouisseur sybarite au QI de puceron, de surplus aussi sensible qu’un billot de bucheron ! Ou partaient-ils ? A quels outrages consentis ne l’exposerait-il point ? Notre malheureux en avait les larmes aux yeux … “Cindy, oh, Cindy ! Ne comprends tu pas qu’en dépit de ma calvitie, c’était moi l’homme de ta vie” ?

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Le jeune homme en était à ces ruminations lorsqu’une voix paternelle le tira de son affliction. Costume de tweed et parfum suranné, un vieux monsieur aux faux airs de Michael Caine s’adressait à lui avec une chaleureuse bienveillance : “Eh bien, mon jeune ami. J’ai assisté à tout. Et ce que j’ai vu … C’était … simply magnificient ! Je veux dire : magnifique, bien sur. La façon dont vous avez usé de ce plateau de balance … Gosh ! Je crois que vous êtes très exactly la personne que je cherchais depuis si longtemps. Mais pardon. Je suis discourtois… Je me présente : Charles Edward Tefoll, du groupe Tefoll. L’inventeur philanthrope des poêles anti-adhésives au kevlar. The Bonnie Prince of the Frying Pans, comme on m’appelle chez moi. Et le fier employeur de près 245 000 Tefolleurs à travers le monde, du Mozambique au Burkina. Enchanté” !

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Le vieux gentleman eut le réflexe de tendre la main à John Smith avant de se remémorer que le pauvre garçon était encore ficellé comme une paupiette. “Oh. Yes. Pardon. Peut être devrions nous commencer par vous détacher un peu. Ensuite, je vous montrerai. quelque chose qui devrait vous intéresser. Vous savez : vous avez du talent, j’ai des moyens. Ensemble, nous allons changer ce monde pour de bon”.

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Changer le monde … Peut-être pas. Mais en tout cas, sans le savoir, John Smith venait de croiser la route de l’homme qui allait faire de lui … “Captain Poêle à Frire”. L’homme par qui un lamentable échec sentimentalo-guerrier se transformerait en monumental triomphe.

Mais pour savoir comment, il va falloir patienter encore un peu.

Suite : http://paris.croisedanslemetro.com/annonce/20727/

    Détails

  • REReà Haussmann — Saint-Lazare.
  • Une rencontre faite le 9 décembre 2015.
  • Rédigé par un homme pour une femme.
  • Publié le mercredi 9 décembre.