Captain Poêle à frire – Part 3 : le repaire de la sorcière

Au précédent épisode, nous avions laissé notre héros faire connaissance avec le richissime magnat de la poêle antiadhésive, Charles Edward Tefoll, qui lui proposait ici un singulier marché : http://paris.croisedanslemetro.com/annonce/20681/

Livre IV : Le mystère de la chambre marron et jaune

Après avoir libéré notre homme de ses liens, le vieux gentleman lui saisit le coude pour le conduire un peu à l’écart : « Venons-en au fait, mon jeune ami. Mon activité d’industriel n’a longtemps été qu’une couverture. Je compte sur votre discrétion à ce sujet. Autrefois, lorsque ce bras qui vous tient avait encore un peu de force, j’œuvrais dans l’ombre pour faire régner la loi et l’ordre. J’étais une sorte de justicier, comme on dit. Et je dois dire que je n’avais pas mon pareil pour cuisiner les criminels … Hélas, avec le temps, les filles, dans le métro, ont cessé de me regarder. Les gens ont commencé à me céder la place et à me donner du « monsieur », à me vouvoyer. Je n’ai pas compris tout de suite ce qui se passait, que je venais de rencontrer ma Némésis en la personne du plus diabolique et impitoyable de tous les criminels : celui que nul ne peut saisir, celui que nul ne peut arrêter. Je parle du temps, évidemment. So … Les premiers rhumatismes sont arrivés. Je me suis retrouvé cantonné dans mon fauteuil de cuir à fumer la pipe en peignoir au milieu d’un bureau désert. J’étais fini. Fini, et pourtant toujours là, avec mes statines et tous ces journaux qui entassent jour après jour sur mon bureau leurs sinistres dépêches : vols, meurtres, escroqueries, grèves de la RATP … J’étais devenu impuissant. Je ne pouvais plus rien faire. J’aurais pu en rire. Me moquer de moi-même et des autres en postant des âneries sur un site de rencontres, mais je m’y suis refusé. J’ai préféré battre le temps à son propre jeu en me trouvant un successeur : je mourrai, c’est certain. Mais je trouverai un héros pour reprendre le flambeau. Lorsque je vous ai vu, tout à l’heure, bravant le danger pour secourir cette insignifiante caissière …

— Cindy. Elle s’appelle Cindy, et elle a une licence en Araméen. Elle n’est pas « insignifiante ».

— Well … Certainly ! Yes. Ce n’est pas le sujet. Lorsque je vous ai vu, I knew you were made of the right stuff. La façon dont vous avez tiré parti du terrain et des faiblesses de l’adversaire. C’était du grand art. Vous pouvez être un héros, parce que vous en avez le cœur.

— Ne dites pas de bêtises, monsieur. Je ne suis pas un type bien. Je n’ai rien fait de bien de ma vie, et d’ailleurs, à 36 ans, j’habite toujours le même appart’ délabré aux murs rongés de moisissures. Vous ne me connaissez pas. Vous me jugez sur un seul événement et …

— Enough ! Vous faites erreur, mon garçon. Premièrement, on n’a pas besoin d’être un type bien pour être un héros. Ça n’a rien à voir. Etre un type bien, c’est toujours prévoir les conséquences de ses actes pour prévenir toute mauvaise action. C’est vivre rationnellement, sur le qui-vive, au mépris de ses émotions. Qui y arrive ? Je ne connais encore personne qui y soit parvenu. Vous croyez que j’étais un type bien, moi ? J’ai chipé les poupées de cousine Charlotte et accusé cousin Edmund du forfait … No, no, no. Autant grimper l’Everest avec un tuba ! Les types biens … Sortez-vous ça de la tête où vous ne ferez jamais rien de votre vie. C’est plus facile d’être un héros. Et vous avez ce qu’il faut. Je le vois justement à cet « événement » comme vous dites. Il est l’épreuve qui vous révèle.

— Mais je n’ai aucun superpouvoir, j’ai peur de faire mal aux gens quand je les tape. Et puis je suis timide … Comment pourrais-je jouer les justiciers. C’est absurde !

— Non. You are the one. Vous n’avez pas besoin de superpouvoirs. Vous avez le cœur. Vous aurez la motivation. C’est bien suffisant. Et pour le reste, je me charge d’y pourvoir. Je vous équiperai. Je vous apprendrai à vous battre et à devenir un guerrier. Ce n’est pas si difficile. Pensez un peu à cette Cindy qui vous est si chère. Avec qui pensez-vous qu’elle voudrait finir ses jours : avec un petit comptable mollasson, ou avec un vrai héros ? Mais avant toute chose, nous devrions aller rendre une petite visite au domicile du criminel que vous avez assommé pour découvrir quelles étaient ses motivations.

— Euh … Vu son accoutrement et son rire débile, je pencherai pour la folie …

— Un fou, peut-être. Mais deux fous, présentant des symptômes absolument identiques, et frappant au même endroit dans une parfaite coordination, c’est soit une épidémie – auquel cas nous sommes en péril - soit une action concertée. Ne me sentant pour l’heure aucun goût pour les déguisements de sorcière, je discerne plutôt dans cette opération la marque de quelque génie du crime encore méconnu. Nous DEVONS retrouver ce cerveau, de crainte qu’il ne frappe à nouveau.

— Et comment comptez-vous faire ?

— Comme je vous le disais, j’ai subtilisé la carte d’identité de ce bandit. Il y a là son adresse. Il se trouve que ce n’est pas très loin d’ici, et que mon hélicoptère nous attend sur le toit. Si nous nous pressons, nous pouvons encore y être avant l’arrivée de la police, et - pourquoi pas ?- y glaner quelques indices. Suivez-moi ».

Le ton ferme du vieil homme n’admettait aucun refus. John Smith lui emboita le pas. Une quinzaine de minutes plus tard, ils se trouvaient sur le palier de l’appartement de la « sorcière » assommée. Sans une hésitation, Tefoll sortit de sa poche un trousseau de clefs dont il usa pour ouvrir la porte, avec un sourire de satisfaction. « Oh ! Oui, être milliardaire a du bon. J’ai fait faire des doubles de toutes les clefs de Paris. En général, je m’en sers pour placer des caméras dans les douches des résidences étudiantes. C’est un peu mon anneau de Gygès. Mais … Gosh ! J’aurais peut-être dû garder ce détail pour moi. Entrons plutôt voir ce que ce forban cachait dans son repaire » !

Au premier abord, le lieu ne présentait aucun caractère saillant, aucune particularité, si ce n’est une forme de désordre crasseux, propre à tous les appartements négligés. « Bien John. Nous avons là je crois, l’occasion de commencer à vous enseigner les ficelles du métier. Un héros efficace est d’abord un bon enquêteur. Avant de se servir de ça … ». L’industriel banda un biceps rachitique. « … Il faut apprendre à se servir de ça », conclut-il en pointant son chapeau melon.

John le fixa un instant, incrédule. Il ne possédait quant à lui aucun chapeau melon. A quoi bon apprendre à s’en servir ? Passant outre à cette injonction incongrue, il se mit docilement en devoir d’examiner la pièce du sol au plafond pour finalement conclure : « C’est mal rangé. Notre homme n’était pas soigneux.

— Mais encore, mon garçon ? Mais encore ?

— Euh … Il était un peu attardé aussi.

— A quoi notez-vous cela ?

— Là, sur la table basse. Cet exemplaire de « Copain des Bois ». C’est un livre de bricolage pour enfants. Regardez. Les feuilles sont toutes racornies, et le bouquin est rempli de Post-It faisant office de marque-pages. On dirait que c’était sa bible. Sérieusement. Ce type devait avoir dans les 40 ans. Pour aduler à ce point ce livre et faire toutes ces conneries … C’était surement un attardé. Et puis regardez cette feuille volante : une poésie ! Le « Dialogue du Fraudeur et de la Contrôleuse ». Sincèrement, quel esprit sensé pourrait écrire de telles niaiseries ! Ecoutez plutôt ça : « Un fraudeur enjambait vivement son portillon, lorsqu’une belle contrôleuse lui réclama son coupon / Abaissant vivement son vert pantalon, il lui exhiba ses charmes sans modération / Et d’une voix coulante, lui adressa cette chanson … ». S’en suit tout un dialogue qui j’imagine, se voulait romantique. Vu le début du texte, c’est pourtant mal parti ! J’en déduis que cet homme était un idiot.

— Mon cher. Retenez-le bien. Face au mal, ne sous-estimez jamais votre adversaire. A mon tour de vous présenter mes conclusions ».

Tefoll s’éclaircit la gorge et bomba théâtralement la poitrine pour entamer son monologue. « La première chose qu’on observe, en rentrant ici, c’est l’état de délabrement de l’appartement. Notre sorcière ne devait pas passer le balai souvent.

En outre, si vous prenez la peine d’observer les couverts qui sèchent à côté du lavabo, vous noterez qu’on n’en trouve à chaque fois qu’un seul et unique exemplaire. Quant à ceux qui se trouvent dans le tiroir, ils sont parfaitement propres et brillants. J’en déduis que notre homme vivait seul et ne devait pas recevoir souvent. De fait, les couverts se ternissent naturellement à chaque fois qu’on les nettoie. Or, ici, seule une fourchette et un couteau, ce qui incidemment veut dire que notre homme ne mangeait pas de yaourt. Mais passons ! Le niais poème dont vous venez de me lire un extrait, pour médiocre qu’il soit relève d’un genre d’un extrême raffinement. Il s’agit d’un « oaristys », voyez-vous.

Si notre homme était un débile, comme vous le supputez, il n’en serait pas l’auteur. Et s’il en est l’auteur, c’est qu’il était moins bête que vous ne le pensiez. Mais regardons-y de plus près. Voyez comme les lettres manuscrites de ce poème cryptique diffèrent des notes trouvées sur cet ouvrage, « Copain des Bois ». Deux individus sont à l’œuvre. C’est évident ! Pourtant. Notre homme ne recevait pas. Je viens de vous le démontrer. On lui aura donc passé des consignes par voie postale, et de façon cryptée. Le poème cache sans nul doute tout le programme criminel de cette maudite bande. Ne nous reste plus qu’à le déchiffrer. Emmenons-le à mon manoir, où nous pourrons l’examiner tout à loisir ».

Tefoll allait joindre le geste à la parole lorsqu’il s’arrêta brutalement en plein mouvement. « La poussière !

— Quoi la poussière ?

— Voyez-vous comme elle est plus épaisse ici, et là, que devant cet ouvrage, dans la bibliothèque ?

— Et bien ?

— Et bien, cela signe sans faute aucune que notre homme consultait souvent cet ouvrage. Ou plutôt, qu’il le déplaçait fréquemment. Regardons un peu ce qui se cache derrière … My god ! I knew it ! ».

Derrière le livre, au beau milieu de la bibliothèque, était dissimulée une pile d’éponges à double face : un côté doux pour préserver les ustensiles, et un côté abrasif pour décrasser en profondeur.

— That’s it ! Quel est l’interêt de stocker ses éponges dans une bibliothèque ?

— Ça prend moins de place dans la cuisine ?

— Non. Vous n’y êtes pas. La clef n’était pas dans le livre, « Copain des Bois », mais dans les éponges. Il a conservé sa clef de chiffrage au plus près de ses écrits. Damn it ! C’est simplement diabolique. Que n’y ai-je pensé plutôt ! Voyez-vous cette soi-disant traduction en Serbe de la notice des éponges ?

— Oui.

— Et bien ce n’est pas du Serbe. Ça ne veut strictement rien dire.

— So what ?

— Vous pouvez me parler français. C’est offensant, vous savez, de me traiter en étranger.

— Ok.

— Regardez sur cette deuxième éponge. Ne distinguez-vous rien d’anormal sur le paquet ?

— Non.

— Le code barre, mon cher. Le code barre ! Sa longueur est anormale. Et il se superpose parfaitement au texte Serbe de ce paquet ci. Et là, voyez sur cette troisième éponge comme la notice chinoise semble dévier vers la gauche. Je crois bien que si nous assemblons tous ces éléments, nous pourrions bien casser le code de décryptage du poème. Emportons tout ceci. Cela va nous demander un peu de temps et il me faudra y travailler pendant que vous poursuivrez votre formation, mais nous tenons là, je crois, une solide piste pour remonter au commanditaire de l’attentat du Pleintemps. Et je peux d’ores et déjà vous dire qu’il est lié d’une façon ou d’une autre, à l’industrie de l’éponge abrasive. Autrement, comment aurait-il pu dissimuler son code sur ces emballages ? Voilà donc non pas une, mais deux pistes explorer.

— Et pour « Copain des Bois » alors ? Si le bouquin n’a rien à voir avec le code, alors qui signifient toutes ces notes ?

— Mais enfin, êtes-vous aveugle, mon cher ? Ce livre n’apprend pas seulement à fabriquer d’innocentes cabanes ou à collecter des fleurs sauvages pour offrir un bel herbier à sa maman ! On y explique également comment déclencher un feu de forêt, fabriquer un arc et des flèches létales, ou encore comment extraire les huiles essentielles de plantes potentiellement toxiques. Sous ses abords innocents, cet ouvrage pour enfants constitue la bible insoupçonnable du parfait l’apprenti terroriste ! Mais qu’entends-je ? Il semble que la police nous ait rejoints. Vidons les lieux ! Nous tenterons d’y voir plus clair une fois rendus dans mon manoir. Je crois bien qu’entre ces frêles mains ridées, nous tenons les moyens de mettre le holà à quelque funeste conspiration, dont les implications dépassent encore la force de nos imaginations. Déjà je devine derrière ce tas d’éponges, les agissements d’un nouveau Napoléon du crime. Un nouveau Mauriarty ! Allons ! Il nous faut partir, maintenant ».

Maintenant, cher lecteur, si vous souhaitez découvrir quel terrible secret dissimulaient les éponges de la sorcière, il vous faudra lire la suite des aventures de l’Incroyable Captain Poêle à Frire … A suivre !

Suite : http://paris.croisedanslemetro.com/annonce/20784/

    Détails

  • REReà Haussmann — Saint-Lazare.
  • Une rencontre faite le 13 décembre 2015.
  • Rédigé par un prince pour une meuf.
  • Publié le dimanche 13 décembre.