Les fantômes existent

Les fantômes existent.

Il y a un an - il me semble que c’était un autre siècle - je fuyais d’un wagon le coeur empli d’effroi et la gorge serrée, afin de ne point croiser la femme qui m’avait humilié. Ligne 13. Saint-Lazare. D’un pas pressé, je fendais la foule, réprimant les larmes qui poussaient sous le voile pesant de mes paupières. Choqué de l’avoir vue, ma meurtrière, à quelques pas de là, qui tapotait sur son smartphone, la mine sévère, des mots dont la lecture m’eut surement rendu aphone. J’ai fui, comme si le diable en personne, et toutes les légions de l’enfer, m’avaient talonné. Je ne me trompais pas. Le démon du désespoir dès lors me hanta, sans relâche. Et tourné sur sa broche, il fit de mon coeur un plat mijoté, sauce cameline.

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Le 11, à 18h11. En ce jour que je me rendais au loin, mon bagage oblong sur l’épaule, voilà que j’aperçois devant moi une silhouette familière, qui glisse silencieuse, sur les tapis d’Auber. Non. Ce ne peut être elle, dans son manteau noir. Elle a les mêmes cheveux. Mais de dos, bien des femmes se ressemblent. Ce doit être un hasard. Je hâte le pas pour la dépasser et vite m’ôter à ce cuisant souvenir, qui à l’huile brûlante me fait revenir. C’est à ce moment que le petit vieux devant moi, déboite pour doubler à petits pas. Et me voilà, bloqué derrière lui, contraint à glisser au même rythme que la dame du tapis d’à côté. Je ne veux pas la regarder. Si c’était elle ? Que deviendrai-je ? Il n’y a que pour James Bond qu’on ne meurt qu’une fois. J’ai assez payé d’avoir vainement aimé.

Le petit vieux dégage enfin la voie et me libère de ce calvaire. Je fonce vers les escalators sans un regard de côté, pour échapper à ce souvenir retors. Direction la 8.

Et alors que j’arrive sur le quai je revois cette même silhouette qui se presse et cours, presque comme je l’avais fait naguère, pour fuir vers l’avant du quai surpeuplé. Comme si, elle aussi, était coursée, par un défilé de 100 spectres et toute la mesnie hennequin. Tout comme je le fus un an plus tôt.

Alors je me suis souvenu de ma propre course de 2015. C’était aussi la “fête du printemps”. Une fête qui annonçait l’automne de mes ans.

Sans doute n’ai-je fait que croiser une passante, vaguement ressemblante, et qui ne se pressait que pour monter dans le premier wagon pour quelque excellente raison. Simple coincidence. D’autre part comment était-il matériellement possible qu’une femme que je venais de doubler se retrouve devant moi quelques mètres plus loin ? Absurde histoire.

N’est-ce pas étrange cette tendance à plaquer sur notre regard ce que nos coeurs veulent et peuvent voir ? A percevoir dans le monde l’écho de nos tourments intérieurs.

Comme précurseur à cet incident, j’ajouterais qu’il y a peu, une femme éplorée m’a pris à tort pour son vieil amant. Ni mon nom ni mon visage, pourtant si différents, ne l’auraient convaincus du contraire. Elle était comme perdue. Egarée dans des souvenirs si puissants qu’ils avaient envahi tout son univers. Messieurs, si ici vous me lisez, c’est que vous pourriez bien la “croiser” vous aussi. Je me comprends et si vous y réflechissez un instant vous comprendrez aussi. Soyez prudents à qui vous ouvrez la porte, car être ainsi pris pour un autre, hors de toute mesure, est une expérience dérangeante, une expérience à glacer le sang. Gardez vous en, â moins d’avoir un coeur de pierre et des bras d’airain.

J’aimerais bien ne pas moi même sombrer dans ce genre d’état à force de pleurer un amour déçu, au deuil inachevé …

Alors, je ne peux que le constater : les fantômes existent. Au moins dans notre esprit. Et cette semaine j’en aurais eu deux fois la preuve, sur ce site, puis sur la ligne 8.

Heureuses personnes qui êtes affranchis des spectres, plaignez sincèrement ceux qui en sont affligés. Avant de trébucher, eux aussi se tenaient debout, tout comme vous.

Veuillez m’excuser pour ces mots peut être déplacés. Bonne soirée.

    Détails

  • Métro8à Opéra.
  • Une rencontre faite le 11 février 2016.
  • Rédigé par un homme pour une femme.
  • Publié le jeudi 11 février.