Distributrice de journaux gratuits (et de sourires)

Une fois n’est pas coutume, il ne s’agit pas d’une annonce destinée à “pécho” mais plutôt d’un curieux mélange de message d’excuse, de déclaration de sympathie, et de méditation sur le passage du temps.

Il y a un an ou deux maintenant, officiait à la sortie du RER A une jeune distributrice de journaux gratuits.

Tous les matins, à Nation, en me rendant au travail avec la motivation d’un poulpe échoué sur le rivage, j’apercevais cette frêle jeune femme blonde aux cheveux noués en queue de cheval, avec sa casquette et son uniforme rouge, qui tendait aux passant des exemplaires de journaux gratuits.

Qu’il pleuve ou qu’il vente, elle arborait chaque jour ce même lumineux et angélique sourire. Le genre de vision qui allume des étoiles dans nos yeux morts.

Et je me disais : “moi qui jouis de la sécurité de l’emploi et d’un honnête salaire je tire une gueule de déterré au stade ultime de la dépression, alors que cette fille qui se lève aux aurores pour aller distribuer dans le froid de la presse gratuite à une foule de gens aussi aimables que les matons d’une prison turque des années 1960, trouve la force de sourire avec la grace d’un soleil d’aurore …”. Je me sentais carrément honteux de tirer la gueule, d’être mécontent de mon sort, de raler, de faire mon français quoi (parce qu’avouons le, à Paris, on n’est quand même pas très détendus et sympathiques - pour le dire poliment).

Je trouvais ce que faisait cette fille héroïque, parce que moi, je n’y arrivais plus. Alors un jour, j’ai voulu faire un geste, histoire d’exprimer une sorte de “bravo” sincère ! Je me suis arrêté et, au lieu de prendre un journal, je lui ai filé une pièce, tout en marmonnant un truc vraisemblablement incompréhensible (genre : “pour vous payer un café”). C’était nul. Déroutant et nul. Mais c’était spontané et dans l’instant je n’ai pas trouvé mieux.

Naturellement, la pauvre fille se trouva interloquée. Comment aurait-elle pu s’attendre à ça, à ce qu’on lui donne la pièce ? Elle a dû se dire : “mais qu’est-ce que c’est que ce dingue ? Qu’est-ce qu’il me veut ?”. Je suppose que ça l’aura fait flipper. D’autant qu’égal à moi même (autiste forever), je ne l’avais pas fait avec le sourire …

Après ces événements, je ne la vis plus trop sourire à mon passage. Et moi même, je me sentais terriblement gêné. Je le suis encore aujourd’hui d’ailleurs … En même temps, entre un “autiste” à l’aise et un “autiste” gêné, la différence n’est pas flagrante, alors je suppose que ça ne s’est pas trop ressenti.

Puis le temps a passé, les saisons se sont succédé et le personnel chargé de distribuer les gratuits a été renouvellé. Mes pas ont cessé de croiser ceux de cette demoiselle.

Et ce matin, en me rendant au travail plus tôt que d’habitude, j’ai aperçu un visage qui m’a semblé familier. Une gracieuse dame vêtue d’un long et élégant imperméable se tenait debout près de l’entrée du RER, aux côtés d’un distrubueur de “20 minutes”, un sien ami sans doute. Après coup, il m’a semblé que c’était elle, la fille à qui j’avais autrefois bêtement donné la pièce. En tout cas, elle lui ressemblait beaucoup de visage.

Du coup, je me suis remémoré cette histoire. Et j’ai songé : “comme le temps passe ! Serait-il possible que la petite jeune fille en uniforme d’hier, en si peu d’années ou de mois, soit devenue cette dame à l’allure distinguée” ?

C’est peut être juste un film que je me fais, mais j’ai trouvé ça bien. Bien de voir que la vie favorise ceux qui lui sourient.

Et je me dis … Faudrait vraiment qu’un jour j’apprenne à sourire aussi.

Alors sourions donc. Dans l’ensemble, la vie n’est pas si terrible, après tout. Moins qu’au 14ème siècle en tout cas …

Et @ la demoiselle : je m’excuse de vous avoir embarrassé en vous filant la pièce autrefois. Je ne pensais vraiment pas à mal mais c’était maladroit. Si vous saviez comme je me sens honteux …

    Détails

  • RERaà Nation.
  • Une rencontre faite le 11 mai 2016.
  • Rédigé par un homme pour une femme.
  • Publié le mercredi 11 mai.