Prose tardive: tome 3

Ce soir, nous allons quitter notre ligne 6 grincantes et nous aventurer dans les méandres du RER.

Mon immense curiosité m’oblige à me demander si toutes ces histoires et ces messages permettent finalement d’associer un nom aux milles visages anonymes et inaccessibles.

Dans ce tumulte, il nous arrive parfois de nous rappeler d’un souvenir, d’un moment particulier, une sensation presque indescriptible. Comme si l’air était chargé d’une substance chimique. Après tout, cela est très certainement lié aux phéromones combinées aux superbes parfums et fragrances. Comme beaucoup de monde ici, nous sommes baignés dans notre routine quotidienne. Morpheus pourrait confirmer mon propos. Je ne sais d’ailleurs pas si j’ai choisi la pillule bleue ou la rouge. Lorsqu’un évènement particulier et inattendu arrive, il rentre presque en résonance mais souvent,

on s’en aperçoit bien trop tard. En fait, cela me fait penser à un électrochoc, vous savez le même que celui qu’on voit dans les séries américaines. Pour ne pas faire de jaloux, je ne citerai pas de noms.

Je prends tous les jours le RER B (hé d’ailleurs, vous avez probablement bien galéré jeudi soir de la semaine dernière) et je me souviens encore de cet étrange trajet, qui a eu lieu il y a environ deux ans lorsque j’étais encore un jeune idiot (je pense être toujours idiot, mais je suis également moins jeune).

Je dois emprunter le bon RER. Oui, le RER en direction de Saint-Rémy ne s’arrête pas à ma station. On pourrait croire que tous les chemins mènent à Rome, mais ce n’est pas le cas. Bref, j’attends toujours au même endroit tel un obélisque et le bon train fini par arriver, non sans délai. Je ressens ce courant d’air qui fouette mon visage, lorsqu’il passe devant moi. Je laisse sortir le troupeau et je m’engouffre dans cette rame tropicale où il ne manque plus que les perroquets ou les serpents et je reste debout toujours au même endroit (encore…). Sans m’en rendre compte, j’agis tel un robot, une machine inhumaine. À cette époque, je ne lisais pas car mon esprit était trop bouillonnant et incontrôlable, impossible de se concentrer. Peut-être que je ne savais pas apprécier la bonne littérature. C’est fort probable.

Ahhhh, hein, ohhh. Je jette un coup d’œil, histoire de me familiariser avec mon environnement et je vois cette dame assise avec son rouge à lèvres vif et qui est probablement dans la trentaine. De mémoire, je crois qu’elle était teinte en blond, probablement platine. Il n’était pas difficile la remarquer car elle se démarquait trop facilement du reste de la populace. Elle rayonnait.

À vous mesdames: je trouve que le rouge à lèvres met en valeur vos visages magnifiques. Cela crée une sorte de contraste et ça attire le regard. Vous

savez comme avec les guêpes sur les tartines de confitures, quand vous êtiez chez votre grand-mère adorée. Il faut d’ailleurs dire que ces guêpes avaient très bon goût, la confiture faite maison était délicieuse. Elle résonait dans la bouche, quelle explosion de saveurs! Le bonheur à l’état pur!

Vous pouvez me dire que ce genre de situation arrive approximativement 10³ fois par jour, surtout à Paris. Oui. Attendez! Ce n’est pas tout.

Durant ce trajet, je remarque que cette personne me fixe. La partie arrière-droite de mon cerveau me souffle: “Arrête de te faire des films, l’ami. Tu rêves”. Hum, nous roulons drôlement bien ce matin. Comme par hasard, bon sang! Je vais enfin arriver à l’heure au turbin.

Mais non, je crois que je n’hallucine pas. Je suis un jeune type plutôt bien coiffé, bien rasé et pas trop mal fringué. Je n’ai pas la prétention de me trouver beau. Tout cela est bien trop subjectif. Disons juste que je fais gaffe à ma personne. Je suis un mec relativement quelconque.

À chaque fois que je tourne la tête, je croise son regard. Par malheur, je crois que j’ai aujourd’hui oublié la couleur de ses yeux.

Il faut dire que quand on me fixe, j’ai toujours l’impression que quelque chose ne tourne pas rond. Un tarzan rebelle, un épi capricieux, un lacet qui traine, une tâche sur le pantalon noir. Les possibilités sont innombrables. J’en viens à me tordre la tête, à torturer mon esprit fragile histoire de trouver une raison valable et scientifique…

L’annonce indiquant que nous arrivons à ma station est crachée via les hauts parleurs grésillants. Pourvu que quelqu’un marche sur le voies ou qu’un incident technique arrive, histoire que je puisse glaner de précieuses minutes. Non. Le voyage est déjà terminé… Ce haut parleur est défectueux: j’entends juste le début et la fin de cette annonce. Je suis replongé dans le train-train comme si je réintégrais mon enveloppe corporelle et j’oublie tout le reste. Je m’avance machinalement. Avant de presser le bouton qui ouvrira cette satanée porte, je tourne ma tête à gauche et pour la dernière fois, je vois ce visage. Mon dieu. Ça y est, je suis sorti.

En remontant le quai, j’entends le signal suivi du claquement particulier qui me signale que les portes se referment. Je sais immédiatement que j’ai foiré. Il aurait fallu que j’agisse mais c’est trop tard. Merde. Ce maudit RER continue sa route en emportant mon espoir. Game over…

Pour ceux qui en douteraient, cette histoire a bel et bien eu lieu. Ici, raconter des bobards n’a que peu d’intérêt. Je regrette de ne pas être allé voir cette personne. Je ne l’ai pas croisé une nouvelle fois. Je ne connaitrai pas la raison de se regard si insistant. Je m’en suis mordu les doits après… Quel dommage!

Même si je me suis juré de ne pas refaire la même erreur, j’ai depuis rompu mon serment un grand nombre de fois. D’ailleurs, je ne compte plus, ce serait trop éreintant…

    Détails

  • RERbà Denfert-Rochereau.
  • Une rencontre faite le 28 avril 2017.
  • Rédigé par un homme pour une gente dame.
  • Publié le vendredi 28 avril.