Lelena

Tu t’appelles Ielena.

Un jour en descendant dans la bouche du métro à jaures tu m’as suivi. Ne pensant pas que je t’eu vue. Je pense ? Tu penses ? Penses tu… J’y pense…

Métro boulot dodo.

Tous les jours je me tue au travail. Je m’occupe des handicapés, j’aime ça. Le soir je joue sur les quai et puis je joue également dans le métro. J’ai des dettes, faut bouffer. Les gens aiment mes chansons, ça me fait du bien, mais je fais la manche je le sais et j’ai honte, en même temps que j’ai plaisir . Ou est l’ado qui rêvait d’écrire des chansons comme Goldman ou Gainsbourg ? Aujourd’hui je m’accroche…

Et quelques jours plus tard te revoilà sur le quai. Tu fais la manche aussi. Mais toi, c’est sans pudeur, salement. Tu déranges les gens assis sur le quai. Tu supplies , tu taxes, tu grappilles. Tu me vois et fait semblant. L’air de rien. Tu t’assois. Tu caches mal la pipe à crack dans la poche. Je vois dans ton regard. Tu t’accroches…

Je prépare les 50c dans ma poche arrière. Je ne m’étais pas dit que la fille de l’autre jour était une camée. Quand à ma grande surprise tu me demandes ma guitare, poliment. Avec une voix de petite fille camionneuse. Éraillée et fluette, comme un soupir mélodieux. Tu chanteras exactement de la même façon. Arrêtant ainsi le temps.

Tu t’appelles Ielena.

Tu ne me suivras pas ce soir là. Je te revois le lendemain, car Ielena, c’est un joli prénom, qui vient du pays d’origine de ma grand-mère. Puis tu as compris ou je chante OK, pourquoi te chasser ? Même s’il semble que tu as tout vendu pour te payer à fumer, téléphone vêtements. Sauf ce petit sac que tu garde précieusement. Tu as des plaies. Des croûtes. Des taches sur les bras. Tu es maigre mais pas trop Et surtout tu enchaines la fumette de façon à inquiéter n’importe quel toubib sur terre. Tu dois taper depuis 8-10mois ?…

Ma mère est morte à cause de la drogue. J’ai aidé ma première copine à décrocher. J’ai moi même un problème Benin avec le canabis depuis une douzaine d’années. On peut dire que le mec averti, c’est moi. Cependant, rien ne m’empêchera de rester… Moi-même .

Alors je t’invite à me suivre. À quoi bon ? Même si j’ai un boulot en cdi , je me retrouve à la rue le 31. Avec mes dettes, je n’arrive pas à me reloger bref… Vite, je le ressens. J’ai raison de te faire confiance. Tu ne me voles pas. Tu prends une douche, je te donne à manger et je t’écoutes parler. De ton enfance, de ta maman morte à toi aussi. De ta ville de naissance , Bordeaux. Entre tout ça. Des prises incessantes de crack. À quoi bon t’empêcher ? Je te propose de décrocher, et me suivre pour le tour du monde de mes 30ans dans 9mois . Tu dit même être d’accord..

Mais dès lors que ton caillou est terminé, tu te mets à tourner en rond et en moins de temps qu’il ne le faut pour l’écrire, tu prends tes affaires et te prépare à partir. Je t’accompagne. Bien malgré moi. Mais je veux que tu restes. Je veux t’écouter, je veux peut être trouver la clef qui permettra de t’aider à t’en sortir. Je sais comment t’aider, et tu me dis à raison qu’il faut que ça vienne de toi. Tu es déjà pourtant à 5metres de ma porte. “merci vraiment..” avec les yeux brillants. Je te regarde. “Ielena… Les seuls vêtements que tu as sont dans ma machine à laver… Tu sais où me trouver. Et je ferme la porte.

Je t’ai recroisé deux fois dans la ligne 5, à jaures. Sans que tu puisses m’apercevoir. Tu traînes avec tous les mec chelou de la place. Les flics font bien leurs job pourtant, rien ne les empêche de traîner. Vendant la mort inpunement à tous les esseulés en recherche du “flash”. Je pense bien que tu as des “arrangements” avec eux, cela se voit clairement. Dans le fond du fond malgré toute l’affection que j’ai pour toi, le coup de cœur un peu con pour l’avouer même, je n’en souffre même pas. Je souffre seulement de mon impuissance. Je suis allé te revoir, la seconde fois à la fontaine, pour te rendre ton linge . Et je te l’ai dit. Si tu n’arrête pas il faut s’arrêter là,que c’en est trop moi et que je n’ aipas les épaules pour ça. Je décide de partir. Tu cries mon nom. Dur quand on inverse les rôles n’est ce pas ?

Depuis trois jours, à la sortie du travail, je suis bien moins de temps sur les quai. Je suis sur la place, et dans le métro. À te chercher secrètement. Espérant que tu n’est pas morte. Mais en prison ou à l’hôpital, seul bon moyen pour reprendre ta vie en main.

Et si un jour je te revois sur la place, je te chanterai cette chanson triste que je m’étais promis d’écrire depuis longtemps. Peut-être j’espère, sûrement. Allez… Je suis sur qu’elle t’empêchera de receder au pire.

J’ai écrit cette chanson en même pas 15minutes, en pensant seulement à toi, alors qu’il y a des mois que je n’écris plus. Elle s’appelle Ielena comme toi. Et alors, dans mon dernier espoir, tu la chantera avec moi. Je pourrais entendre encore ta voix. Je réaliserai mon rêve de gosse… Et peut-être même que dans mon nouveau rêve, ça sera moi ton addiction.

    Détails

  • Métro5à Jaurès.
  • Une rencontre faite le 10 août 2018.
  • Rédigé par un homme pour une femme.
  • Publié le vendredi 17 août.