Rame de métro bondée. Les voyageurs…

Rame de métro bondée. Les voyageurs sont debout. Un homme en costume gris à rayures élégantes semble trôner sur la foule de par sa taille avantageuse. Malgré ses gros sourcils broussailleux, il a l’air chétif. Il me regarde, je croise ses yeux expressifs, puis nous détournons le regard. Il réitère cette expérience, je ne peux m’empêcher de le dévisager à nouveau. Son regard est chaleureux, intense, il semble demander ma présence. Le mouvement du train aux fenêtres ouvertes nous décoiffe, il remet sa mèche, je remets la mienne. Puis il me regarde à nouveau, une fois, deux fois, dix fois. Je ne peux plus, c’est insoutenable. Je me sens absorbée par lui, j’ai l’impression de connaître ce regard. Il m’est familier, comme tout ce qu’on aime du premier coup d’œil. Comment sortir de là ? Je me sens déchirée entre l’envie brûlante de communiquer avec lui, de croiser mille et une fois son regard, et celui de disparaître, pour ne plus avoir à porter mon être tout entier dans son regard. Aime moi tout de suite ou bien oublie moi, je t’en supplie ! De toute façon, je dois descendre à la prochaine station ; tant pis ou tant mieux… Je profite du fait qu’il se retourne pour rejoindre le quai. Et me voilà disparue à son regard sans qu’il l’ait vu de suite, comme je l’avais souhaité tantôt. Je ressens un grand soulagement, mais aussi un manque terrible. J’ai l’impression d’une histoire à laquelle on a mis un terme avant que rien ne commence. J’ai à présent une satisfaction toute mémorielle. Je sais que je ne le reverrai plus mais je cherche à remettre à vif mes souvenirs, à les torturer, jusqu’à ce qu’ils me parlent, jusqu’à ce qu’ils me disent pourquoi je sentais ce lien si fort entre cet homme et moi. Mais c’est inexplicable. L’amour ne parle pas, il se fait sentir, aux yeux d’abord, à la tête, puis au cœur, et laisse un goût amer lorsqu’il ne vit plus que par la pensée. Tous les possibles se sont évanouis en un instant.

L’amour est partout. Oui, mais dans certaines personnes plus que d’autres pour moi. Ou bien est-ce la rencontre fortuite de deux désirs ? Je voulais désirer un homme de la rame, il voulait désirer une femme. Et nos désirs fantomatiques se sont traversés. C’est absurde, mais possible. Peut-être que l’amour est là, en nous, qu’il déborde parfois tellement qu’il cherche un autre abri, une autre âme qui se vide elle-aussi de son amour. Un échange d’amour en quelque sorte. Un échange gratuit, c’est si rare.

    Détails

  • Métro13à Saint-Lazare.
  • Une rencontre faite le 18 juin 2010.
  • Rédigé par une femme pour un homme.
  • Publié le mardi 23 juillet.